News

Témoignage Alumni : Une carrière dans l'Automobile
Philippe Ventre, promo 1954, a eu une carrière exceptionnelle dans le secteur Automobile et a accepté, à l'occasion du centenaire de l'école, de revenir sur son parcours, sur ses souvenirs de l'ESTACA ; de ses rêves de jeune étudiant à ses réflexions d'ancien grand dirigeant :
"Issu en 1934 d’une famille d’enseignants et ayant suivi une formation littéraire terminée sur un bac philo, rien ne me présageait une carrière industrielle, sauf une inexplicable passion pour les autos dès mon plus jeune âge…
Pour des vacances d’été, début des années 50, j’avais trouvé un « stage » chez un garagiste qui avait bien voulu prendre, gratuitement, un jeune ne connaissant rien à l’auto, mais volontaire. Mais au lieu de faire de la mécanique, j’ai passé mon temps comme co-pilote du patron, passionné de rallye, et qui en préparait un à bord d’une Auto-Union DKW, 3 cylindres 2 temps, puissante, souple, mais consommant autant d’huile que d’essence.
Devant mon refus de poursuivre dans la voie de l’enseignement, et dans l’impossibilité évidente de passer les concours des grandes écoles, mes parents, acceptèrent que je tente le concours d’entrée à l’ETACA, qui deviendra l’ESTACA.
Si les débuts furent difficiles en mathématiques, j’étais porté par l’émerveillement de tous les autres cours, mécanique, thermodynamique, résistance des matériaux, auto, réalisés par des ingénieurs en activité qui les rendaient vivants et concrets.

Je découvrais l’étendue du monde qui m’avait passionné en rêve, des connaissances à acquérir pour maîtriser mon sujet, et les séances me semblaient jouissives.
Je découvrais le dessin industriel, les difficultés de se servir d’un tire-ligne encré, et surtout de raccorder proprement un arc de cercle réalisé au compas avec une ligne droite.
Mon plus mauvais souvenir : le dessin d’une vis à 3 filets, du type utilisé par Peugeot pour ses ponts arrières dits « hypoïdes ».
Nous avions des « projets » à réaliser, calculs, dessins, et rapport d’explications détaillées, très cartésiennes : hypothèses de départ, méthodes utilisées, conclusions, le tout devant être présenté dans un dossier tapé à la machine pour être propre.
Le plus gros projet fut celui d’un moteur 4 cylindres à plat (Porche étant déjà à la mode) mais qui m’a paru une aberration dès que j’ai touché du doigt les contraintes d’implantation qu’il génère, surtout avec l’apparition des moteurs transversaux.
Notant parfois chez un des profs une indication de domaines à creuser, je complétais les cours de l’école, soit au Conservatoire des Arts et Métiers, soit au CLESIA, des conférences organisées par la SIA, Société des Ingénieurs de l’Automobile, à laquelle je m’étais évidemment inscrit.

Je suis sorti de l’école après 7 mois de stage de fin d’étude chez SIMCA, aux Méthodes de Production, ce qui n’était pas mon souhait, voulant absolument être dans un Bureau d’Etude, la formation reçue me prédisposant tout à fait à cela.
Et j’intégrais la Régie Nationale des Usines Renault le 1er juin 1956.
Après un parcours initiatique j’intégrais les essais moteurs, d’abord à Billancourt, puis en janvier 1957 à Rueil. Mon rêve commençait à prendre forme.
Après les essais moteurs il me fut proposé de passer aux essais de tous les composants châssis, essentiellement suspensions, principalement les trains, Et ceci me valut de nombreux contacts avec les essayeurs sur route, et d’enrichir ainsi mes connaissances sur tout ce qui concernait la tenue de route.
Tous mes essais donnaient lieu, comme bien appris à l’école, à des rapports très circonstanciés, tapés à la machine par la secrétaire du département, et envoyés aux demandeurs de l’essai, copie à ses patrons, et « pour info » au directeur des études.
Un jour un de mes rapports me revint, barré, et annoté d’un rageur « je n’ai pas besoin d’avocat ». Un peu désarçonné, et m’en étant ouvert à mon propre responsable, j’ai vu arriver vers moi en plein essai, le directeur des études, qui me dit : « Tes rapports sont bons, mais je n’ai pas le temps de lire toute cette littérature, fais donc une page de résumé devant pour les grands chefs ». Ce que j’ai toujours fait jusqu’à la fin de ma carrière.
Il avait dû néanmoins me repérer car peu de temps après il me proposa de prendre en charge un secteur entier « tous essais », qui me valut de travailler aussi bien sur les amortisseurs de la R 16, que sur son moteur en aluminium, une première pour l’entreprise, et sur sa première boîte automatique à coupleur hydraulique.
Cela m’avait amené à consolider mes connaissances en résistance des matériaux, (Woehler), et une sorte de bible à l’époque « Timoshenko » et dans celui des vibrations avec une autre bible celle de « Den Hartog », l’expert qui avait trouvé et expliqué les raisons de l’écroulement du fameux « pont de Tacoma ».
Je fis ensuite un passage au Bureau d’Etude des Equipements de carrosserie, mécanisme, chauffage/climatisation, étanchéité, période durant laquelle je pris une dizaine de brevets.
Puis il me fut proposé de créer, et prendre la responsabilité, d’un nouveau secteur destiné à mettre un peu de science dans le dessin des caisses en blanc, la « carrosserie », dont on ne connaissait pas du tout le comportement en torsion/flexion, la seule littérature portant sur des études de tubes carrés avec des trous, pour simuler un autobus, études américaines pour les bus scolaires.
Je découvrais ainsi la nécessité de bien connaître la langue anglaise, et me formait tout seul.
Et lorsque les gros problèmes de protection des occupants en cas de choc arrivèrent, cela fut assez naturellement, qu’en charge des structures, je devienne aussi chargé de ce domaine.
Et ma connaissance de l’anglais me servit lors des participations aux très nombreuses conférences internationales sur ces sujets, et pour mes dizaines de publications sur nos travaux pour améliorer la résistance des carrosseries, et proposer des solutions de tests règlementaires internationaux ; toutes en anglais.
L’une, en particulier, plaidant pour un parc auto homogène, et non des grosses voitures non agressives, et des petites voitures renforcées par rapport à la situation du moment, fit grand bruit internationalement et me valut un « award for engineering excellence » de la National Hyway Trafic Administration » américaine.
Et ma connaissance de l’anglais me servit lors des participations aux très nombreuses conférences internationales sur ces sujets, et pour mes dizaines de publications sur nos travaux pour améliorer la résistance des carrosseries, et proposer des solutions de tests règlementaires internationaux ; toutes en anglais.
Philippe Ventre avec Franck Williams, fondateur de Williams F1 Team

L’une, en particulier, plaidant pour un parc auto homogène, et non des grosses voitures non agressives, et des petites voitures renforcées par rapport à la situation du moment, fit grand bruit internationalement et me valut un « award for engineering excellence » de la National Hyway Trafic Administration » américaine.
Et c’est peut-être à cause de tous ces parcours précédents que je fus choisi, lors du deal Renault /American Motors, pour être le premier ingénieur envoyé, en février 1979, à Détroit, chargé par le président de l’époque, Bernar Hanon, de mettre en place et diriger une opération destinée à sortir en production, un an après sa sortie en France, une version américanisée d’un véhicule encore en étude à Rueil.
Ce fut une aventure technique et humaine extraordinaire, mais couronnée du succès de la voiture, baptisée Alliance aux USA, qui fut « Car of the Year » à sa sortie.
Revenu en France en décembre 1984, je pris la responsabilité du Bureau d’Etudes Véhicules de Renault. Je ne l’aurais jamais imaginé.
Après diverses évolutions d’organisations, et après avoir été responsables de toutes les études, moteurs et transmissions compris, le président Louis Schweitzer décida une réorganisation majeure en fusionnant le Bureau d’Etudes et les Méthodes de Fabrication. Comme il ne pouvait y avoir qu’un conducteur au volant, je fus désigné pour ce nouveau défi devenant Directeur de l’Ingénierie Véhicules. Et à ce titre j’intégrais le Comité de Direction Renault, la plus haute instance de l’entreprise.
Diplômé ESTACA, j’avais sous mes ordres une pléiade de grands ingénieurs, polytechniciens centraliens, quat’zarts, Insa… ; et tout ceci sans problème. Des compétences multiples et solides reconnues par ses pairs facilitent les relations.

L’école a été pour moi le moyen d’édifier une base solide, sur laquelle j’ai pu construire ensuite, pierre à pierre, une carrière qui est allée bien au-delà de ce que je pouvais rêver.
Tenu compte de ce qu'elle m'a apporté il me semble normal de la soutenir aujourd’hui, et j'apprécie tout le travail que toute l’équipe du Fonds de dotation de l’ESTACA, inconnue mais tendue vers le même but, réalise pour le bien de l'Ecole.
Et si tous les Alumni, nombreux après 100 ans d'existence, se cotisaient plus ou moins en fonction de leurs revenus et besoins, l'Ecole aurait encore plus de moyens pour rayonner. La force d’une Ecole, c’est aussi sa diaspora.
Et après tout ce temps, sachant que l’esprit concret de l’école n’a pas changé sur le fond, même si elle a dû évoluer au fil des changements de la société, je suis convaincu que ceux qui en sortent aujourd’hui (qui peuvent avoir, parfois, le même petit complexe que j’avais au départ vis-à-vis des 3 grandes écoles) ont toutes les armes en main pour réaliser de grandes carrières.
Et ceci d’autant plus que le monde des transports fait face à des défis technologiques « himalayesques » !
Philippe Ventre, promo 1954
Quelques dates clés de son parcours :
- 1954 : diplômé de l'ETACA
-
1956 à 1970 : RENAULT : Différents postes de recherche et développement moteurs, châssis et carrosserie
-
1970 à 1979 : RENAULT : Chef du département Carrosserie et Sécurité
- 1978 : Prix de l'European Coil Coating Association en reconnaissance du travail effectué dans le développement de l'acier pré-revêtu pour la protection contre la corrosion
- 1979 : Prix de la sécurité décerné par la N.H.T.S.A. pour l'excellence de l'ingénierie en matière de protection des occupants .
-
1979 à 1982 : RENAULT USA : Executive Vice President , General Manager Engineering and Planning Group
-
1982 à 1983 : AMERICAN MOTORS : Vice President Quality and Product Integrity .
-
1983 à 1984 : AMERICAN MOTORS : Vice Président Product Engineering & Development
- 1983 : Chevalier de l'Ordre National du Mérite
-
1985 à 1994 : RENAULT : Directeur de l'ingénierie et du développement des véhicules
- 1991 : Officier de l'Ordre National du Mérite .
-
1994 à 1998 : RENAULT : Directeur de l'ingénierie, du développement et des méthodes de production des véhicules, membre du comité de direction de Renault
-
1998 à 2002 : FISITA : Vice-président
- 1998 : Chevalier de la Légion d'Honneur
-
2002 à 2004 : FISITA : Président
-
2008 à 2020 : Maire de Lacoste ( Hérault , France ) .
Aucun commentaire
Vous devez être connecté pour laisser un commentaire. Connectez-vous.